Voici la fin de l’article dont la première partie vous a été proposé hier. (A retrouver sur www.direlot.fr dans la rubrique « A Lire ». Bonnes lectures !
« Aucune eau ne peut être supérieure à celle du Bois Bordet »
Fort de ces affirmations, le conseil municipal de Lacapelle-Marival demande en 1901 auprès de l’Etat une autorisation officielle ainsi qu’une reconnaissance de la part de l’Académie de médecine, afin d’aménager la source du Bois Bordet pour accueillir dans les meilleures conditions des buveurs de plus en plus nombreux. La municipalité s’engage par cette déclaration à ne faire subir à ces eaux minérales aucune opération de décantage et de gazéification.
Mais le Docteur Cadiergues n’arrête pas là ses ambitions : il crée la même année avec messieurs Blanié et Reygasse, pharmaciens de la ville, ainsi qu’un autre comparse, une société pour exploiter les eaux du Bois Bordet. Ils demandent une concession à la municipalité en ce sens, qui leur sera accordée pour une période de dix-huit ans. La société s’engage en contrepartie à aménager l’espace concédé en jardin d’agrément et à laisser les habitants de la commune venir boire gratuitement l’eau de la source.
C’est le début de la saga du Bois Bordet. Tandis que le captage de la source se pare d’une maçonnerie autant esthétique que pratique, seul vestige actuel de ces aménagements, une maisonnette est construite à côté dès 1904, destinée à l’embouteillage. L’eau est en vente à Lacapelle-Marival chez les pharmaciens Blanié et Reygasse, qui peuvent aussi se charger de son expédition : douze francs la caisse de trente bouteilles, vingt francs celle de cinquante. Mais, conformément aux promesses de la société, les marivalois peuvent venir la consommer gratuitement sur place, ce dont ils ne se privent pas. Le lieu devient même l’objet des promenades dominicales : les photographies de l’époque montrent un public endimanché venu à pied, en famille, des charrettes chargées de dames-jeannes pour acheminer l’eau.
Le petit édifice qui protège le captage s’embellit un peu plus tard d’une balustrade en pierre, belvédère tourné vers le bassin de Lacapelle-Marival, observatoire des promeneurs. La maisonnette d’embouteillage abrite une buvette et, après les années 40 s’y ajoutera même une guinguette créée par la famille Rouquié-Véga, une paillote à la vie éphémère signalée par une grande enseigne « Chalet du Bois Bordet ». De nombreux bals y auront lieu.
Une eau gratuite et un lieu de promenade
L’exploitation de la source aurait-elle pu aller plus loin ? « Pour devenir une station thermale, Lacapelle aurait dû développer une infrastructure hôtelière pour héberger les curistes éventuels, faire de la publicité, et c’est par manque d’esprit d’entreprise, sans doute, qu’elle manqua cette opportunité de développement », juge un peu sévèrement Jacques Labat, autre docteur de la ville et mémoire de la commune, dans un ouvrage dédié à son histoire.
Non seulement les velléités locales n’ont peut-être pas été aussi ambitieuses, mais la réussite économique du projet ne fut pas probante. En 1930, le conseil municipal constate que la société du Bois Bordet n’a retiré aucun bénéfice de l’exploitation de la source, mais renouvelle encore la concession, reconnaissant que cette activité artisanale garde le mérite de fournir une eau de qualité aux habitants de la commune. La société change plusieurs fois de nom, différents propriétaires s’y succèdent. L’embouteillage de l’eau minérale perdure sur le lieu du captage jusque dans les années 70, et à partir des années 40 y naît la fameuse limonade du Bois Bordet, dont on retrouve encore les bouteilles gravées.
Mais heureusement, l’histoire ne s’arrête pas là. En 1977, Joseph Belguiral reprend l’affaire et crée une nouvelle usine beaucoup plus moderne, au hameau de Gibrat, à quelques encablures de la source initiale. Il sera le premier à détenir l’appellation « eau de source ».
Son petit-fils, Emmanuel Vaissières, venait y prêter la main dans son enfance, pour préparer les bouchons, nettoyer les fûts… Aujourd’hui, après avoir repris en 2000 cette entreprise familiale, il est à la tête de la SARL Boissons Le Bois Bordet, qui diffuse ses produits dans tout le sud de la France. Les marques propres sont toujours là, bien connues des lotois : La Quercynoise, eau de source que l’on retrouve sur les Bonnes tables du Lot, et la limonade du Bois Bordet, en vente dans le grand Sud-Ouest. Mais l’eau de Lacapelle-Marival sert désormais à la fabrication des limonades de marque Pschitt et Phénix, qui sous-traitent à l’entreprise marivaloise la partie de leur production diffusée auprès d’un réseau de grossistes dans le Sud-Est du pays. En fûts ou en bouteilles, Le Bois Bordet approvisionne plus de 60 % des professionnels (cafés, hôtels et restaurants) implantés sur la Côte d’Azur.
Ce tournant a propulsé l’activité de l’entreprise, aujourd’hui équipée de deux chaînes de fabrication et de conditionnement automatisées, capables de traiter 6000 bouteilles à l’heure. Bien sûr, ce n’est plus la source historique qui alimente de tels volumes, trois forages proches de l’usine ont pris le relais, dont les eaux se mélangent selon les processus de fabrication. Une épuration phytosanitaire permet de réutiliser 70 % des volumes d’eau pour le lavage, permettant ainsi une économie d’eau de 5000 mètres cube. Le Bois Bordet est aussi l’une des rares entreprises à avoir conservé le principe des bouteilles consignées. L’on peut d’ailleurs toujours venir chercher sa caisse de limonade directement à l’usine, que l’on ne soupçonne pas être en deuxième position sur le marché national des fûts de limonade.
Les bouteilles du Bois Bordet dans tout le sud de la France
Sur le site de la source, l’ancienne buvette, prête à s’effondrer, fut rasée à l’orée de ce siècle. Mais le robinet du premier captage reste ouvert, soumis à un droit de puisage hérité des concessions successives. « Je ne peux pas fermer le robinet, et je ne le veux pas », précise Emmanuel Vaissières. Tous les marivalois savent qu’ils peuvent encore disposer ici de la meilleure eau de table du monde.
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