Suite à la première partie de cet article publié le 03 aôut dernier, (toujours disponible sur notre site), voici la deuxième partie de l’histoire des Causses du Quercy. Dernière partie… le 19 août prochain.
Ici, la pierre enseigne le travail des hommes, leur lutte incessante pour conquérir les moindres arpents d’une terre nourricière. On compte 90 000 habitants en 1860 sur les communes qu’englobe aujourd’hui le Parc naturel régional, soit presque le double qu’au 21e siècle – mais pourtant l’équivalent de la population en période estivale de nos jours. L’empreinte n’est pas la même : l’essentiel de ce que mangeaient, portaient, et fabriquaient ces habitants était fait sur place et les paysages qu’ils ont produits reflétaient l’emprise de cette autarcie.
La géologie a dicté les rôles attribués à chaque espace : aux dolines profondes et aux longues combes de réserver les meilleurs sols pour les cultures. Les premières, cuvettes issues de l’érosion, sont aménagées en cloups ceinturés d’un muret : ces parcelles arrondies servent d’enclos le temps de la fumure par les bêtes et délimitent le champ une fois mises en culture. Les combes, vallées devenues sèches, s’étagent parfois à la faveur de terrasses ou de banquettes en pierres qui organisent les parcelles en paliers. Cultivés à l’araire et à la houe, ces patchworks de cultures dont on ne saurait plus prendre aujourd’hui la mesure, révélaient la capacité de ce territoire à nourrir son monde, même modestement. Le Causse n’était-il pas dénommé « fromental », terre à blé, malgré ses sols maigres et secs ?
Les pechs, sommets des collines, étaient pelés de pelouses sèches, ces étendues rases et clairsemées caractéristiques de ces terres, résultat d’un pâturage ovin soutenu. Dans les vallées, sur les cartes postales des années 1900, les versants sont mis à nu, peu d’arbres accompagnent les bords de rivières réservés aux prairies. Les labours se protègent des inondations dès les premières terrasses d’alluvions tandis que les pentes se partagent la vigne, le buis pour les litières… Chacun a quelques chèvres pour tenir en respect une végétation toujours tenace.
Et puis, partout, l’épierrage continu des champs, la conquête de la terre sur la pierre, ont engendré les kilomètres de murets en pierres sèches qui courent le long des pentes, soutiennent les berges, organisent cultures et villages, délimitent ce parcellaire minutieux relié par un réseau exceptionnel de chemins, pour notre plus grand plaisir de randonneur d’aujourd’hui. Chaque mètre de muret révèle l’opiniâtreté du travail paysan. Même au plus fort des pentes, au cœur des terrains les plus caillouteux, des sols les plus ingrats, les pierres patiemment extraites ou ramassées, éliminées des cultures, composent ces paysages parvenus jusqu’à nous. Le résultat d’un travail généreux et solidaire car forcément collectif, mais aussi le dur labeur d’une main-d’œuvre précaire, louée à la journée. Le paredaire (constructeur de murets) bâti à même le sol, sans fondations, casse la pierre au besoin, couronne son mur de pierres dressées… Jamais de mortier : l’art de la pierre sèche est celui du calage.
Agencée en murailles, la pierre s’organise aussi en cayrous, amas d’épierrage d’une parcelle. Là aussi, loin de se contenter d’un simple tas de pierres, le paysan en bâti soigneusement les côtés, ajoutent des contreforts aux épierrements successifs, y aménage des niches comme abris de fortune. Disséminés au plus profond des friches, les cayrous laissent croire dans les bois à la présence d’une ruine ou d’une cabane, surprennent par la qualité de leur bâti perdu.
Au cœur du Causse de Gramat, entre Caniac-du-Causse, Fontanes et Quissac, la forêt de la Braunhie illustre à merveille les conditions extrêmes de cette exploitation d’une terre ingrate. Causse dans le Causse, cette étendue inhabitée, creusée de gouffres et parsemée de lapiaz, véritables champs de pierre affleurantes, n’a pas échappé aux usages de l’homme comme en témoignent les innombrables murets, cloups, jusqu’à la ruine d’une énigmatique maison Lalo, seul vestige d’habitation. C’est le paradoxe de ces espaces : déserts d’aujourd’hui, les Causses doivent une grande part de leur charme aux traces d’une omniprésence humaine.
… à suivre le 19 aôut prochain