Même si elle l’évoque d’entrée de jeu, ce n’est pas seulement le hasard qui a amené Erika Tripier à Carayac sur les contreforts du causse lotois, à quelques jets de pierre de Cajarc. La pierre, celle dont on y fait les murets et les maisons, y est aussi pour quelque chose. « Le bâti m’a interpellé, il exprime un vécu. J’ai eu le sentiment que le passé était parmi nous. ».
Cette perception inattendue d’une ruralité préservée à dimension humaine, a trouvé sens dans sa démarche. Elle n’était pas en quête, mais en mouvement ; portée par des aspirations profondes nées d’une rencontre vécue quelques années plus tôt avec le monde animal et l’élevage. Professionnelle du spectacle, elle a été amenée à proposer des animations dans une ferme pédagogique. « C’étaient les animaux que je mettais en scène et progressivement, je me suis rendu compte qu’en réalité ce sont eux qui m’intéressaient. » . D’où son aspiration à renouer avec ce qu’elle appelle la « vraie campagne », celle de l’élevage et de la ferme. Et sa décision de quitter la ville.
Une fois posé son balluchon dans le Lot, ses affinités se sont progressivement imposées. « Je n’ai pas trouvé tout de suite de travail dans le milieu agricole, mais de fil en aiguille les liens se sont tissés. Je donnais un coup de main à la ferme voisine pour faire les fromages… j’ai fini par y être embauchée ! ». Trois ans plus tard, Gervaise et Denis Pradines, ses employeurs, évoquent leur souhait de prendre leur retraite. L’idée de reprise de la fromagerie et du troupeau s’invite d’elle-même… « Je maîtrisais à peu près l’activité, mais je n’avais pas de diplôme agricole, j’ai donc passé le brevet de responsable d’exploitation. J’ai alors dû défricher toutes les facettes du métier avec, en particulier, la gestion financière, administrative et juridique. J’étais très loin d’en imaginer l’étendue ; je me suis lancée sans connaitre aucun chiffre, sans stratégie économique, c’est l’activité que j’ai choisie ! ».
Son affinité pour l’élevage lui a permis de lever tous les freins. Surprise elle-même de se retrouver chef d’exploitation de la ferme du Poux del Mas, elle a mobilisé les aides et les énergies autour d’elle. « Le soutien de la chambre d’agriculture a été précieux, et l’entente avec Gervaise et Denis a été décisive. Nous nous sommes soutenus mutuellement – eux pour que je démarre et moi pour qu’ils arrêtent -, dans un esprit de continuité d’activité familiale. Toute la production est transformée sur place et nous maintenons le label « Agriculture biologique ». L’objectif est de dimensionner l’activité autour de la ferme et de l’inscrire dans le temps. »
Erika Tripier a pris place dans le paysage par son labeur. « Il y a de la place et de la demande ici pour exprimer ses affinités. La dimension humaine est essentielle. J’ai aussi retrouvé la perception du temps, des saisons. L’activité paysanne est directe et authentique ; qu’il fasse froid, chaud, humide ou sec, il faut obtenir un produit équivalent. Il n’y a pas eu de rupture, il est resté le même et la clientèle a suivi. Il n’y a pas plus convivial que le fromage, c’est un produit vivant qui fédère facilement. C’est aussi amusant d’être perçue aujourd’hui comme un garant de la tradition ! ».