Une heure s’est écoulée depuis mon arrivée au domaine en cette journée de printemps. Nous sommes en pleine semaine, il est 16h30 et ce n’est pas une période de vacances. Pourtant, les visites s’enchaînent. Les uns viennent tirer quelques litres pour remplir leur bib, les autres refont le plein avec deux ou trois cartons. Cela m’interpelle… Quel est ce secret enfoui dans les caves du Château Nozières qui peut bien expliquer ce balai incessant ?
« Ici on connaît quasiment tous les clients mis à part les touristes » lance Olivier Guitard. On parle de la pluie, du beau temps, on jette un œil au potager pour échanger sur ces poussées prématurées qui annoncent déjà les premiers légumes et hop, direction le caveau de vente. « Rouges, rosés ou blancs, il y en a pour tous les goûts, les visiteurs vont trouver ce qui leur faut ! » m’affirme Claude, le père d’Olivier.
De feu et de glace
Pour trouver l’explication de cette effervescence en plein campagne, je me laisse conter l’histoire du domaine. Elle commence en 1956 à Lherm. Paulette et Pierre n’ont plus de toit, un incendie vient de ravager la maison de famille, tout est détruit. Le couple décide de quitter la Bouriane et de traverser la rivière. C’est à Vire-sur-Lot qu’ils posent leurs valises pour reprendre une exploitation en polyculture. Un domaine situé dans la vallée, entouré de vignes et de lavande à perte de vue. Mais cette végétation va se figer au cours d’un hiver marqué par une vague de froid gravée à jamais dans l’histoire. Un hiver glacial où tout a gelé. « Mon beau père à tout de même sauvé 1,5 hectolitre de vin du gel noir témoigne Claude. Suite à la catastrophe, il a fallu replanter et relancer les cultures sur l’exploitation. Un départ à zéro ». La lavande naturelle a progressivement disparu avec l’arrivée de la lavande synthétique et la vigne s’est peu à peu imposée comme culture principale, pour occuper à ce jour plus de 85 % des terres de la commune de Vire-sur-Lot.
En 1975, quatre ans après la classification du vignoble de Cahors en AOC, Pierre Maradenne faisait ses premières mises en bouteilles. Une étape importante pour cette exploitation qui ne vendait que du vrac jusqu’ici. « Une mise bien évidemment manuelle compte tenu du nombre de bouteilles au cours des premières années » se souvient Claude, arrivé en 1980 sur l’exploitation, qui n’a pas oublié ces longues séances de collage d’étiquettes à la main sur un marbre. Au fil des ans, « la petite entreprise » s’est structurée. Face à la demande, il a fallu augmenter la production et donc mécaniser le système d’embouteillage.
L’accueil et l’échange
La clientèle s’est développée et la fidélisation a plutôt bien fonctionné : « Certains viennent depuis plus de 40 ans, ils ont toujours bu du Maradenne-Guitard, que ce soit en bouteille ou en bib !» lance Claude avec un brin de fierté. Et de poursuivre « On a un vieux monsieur qui vient chaque semaine depuis plus de vingt cinq ans chercher son cubi de 5 litres. C’est sa sortie hebdomadaire, il pose son épouse au marché de Libos à côté de Fumel et vient passer un bon moment sur le domaine ». Quoi qu’en disent certains détracteurs, le vin aurait donc pas mal de vertus et notamment celle de créer et d’entretenir un lien social… à méditer.
La qualité…
La disponibilité, l’accueil, quasi permanent, voici donc la première réponse à ma question sur cette réussite familiale. La deuxième, je la devinais aisément, mes premiers souvenirs des vins du domaine remontent au début des années 2000, voilà bientôt quinze ans. Des souvenirs de rouges pleins, juteux et généreux. Mais il y aussi ces rosés, découverts dès les premiers concours officiels des vins de Pays du Lot (aujourd’hui devenus Côtes du Lot) dont le magazine DireLOT est partenaire… Un privilège qui m’a permis chaque année de déguster les lauréats, parmi lesquels les vins du domaine, souvent primés pour leur intensité aromatique, leur fraîcheur. Au château Nozières, on s’est inscrit dans la durée et la constance, c’est une évidence.
… et la gamme
Olivier, jeune trentenaire titulaire d’un DNO œnologie et d’un DESS en commerce des vins, qui préside désormais aux destinées du domaine aux côtés de son père, allait me confier la troisième clé : la diversification et l’atout d’une gamme. « D’un côté il y a le bib, nous y sommes fidèles. Ça marche, la demande est là. Jamais considéré comme un sous produit, au contraire, nous y prêtons une attention particulière, une question d’image et d’attachement à l’histoire du domaine. De l’autre, il y a les bouteilles pour les vins les plus aboutis, les cuvées. Et puis nous nous sommes diversifiés très tôt. En 1979, mon grand-père faisait déjà plus de 50 hectos de rosés. Du sec, du moelleux, c’était un précurseur. Et côté blancs, mon père plantait déjà les premiers raisins en 1989 ! » détaille le vigneron.
« D’un côté il y a le bib… nous y prêtons une attention particulière, une question d’image et d’attachement à l’histoire du domaine. De l’autre, il y a les bouteilles pour les vins les plus aboutis, les cuvées. »
« Château Nozières », cuvée historique du domaine, « Ambroise de l’Her », créée en 1990 dont le nom fait référence à un aïeul, le Pépé Ambroise, qui piochait jadis sur les coteaux de l’Herm… puis « L’Élégance », fleuron du Château lancée en 2001, voici la trilogie AOC de la propriété. Le rouge est aussi décliné en Côtes du Lot primeur, une rareté dans la région. « L’idée était d’explorer le Malbec sous une autre facette explique Claude, on fait la vendange à la main, on met en cagette puis on verse directement dans la cuve, on vinifie en macération carbonique comme dans le beaujolais. Les conditions doivent être réunies et cela nécessite un peu d’organisation : il faut qu’il fasse chaud, on chauffe également un peu la cuve, dès que le raisin est dedans, il commence sa fermentation. Tu le croques, le fruit explose sur des arômes kirschés impressionnants ». Les rosés sont toujours là, la tradition est perpétuée, avec une cuvée intitulée « Gravis », déclinée en sec et moelleux. Restent les blancs et la cuvée « Clin d’œil », offrant elle aussi un double visage, en version sec en Chardonnay / Sauvignon ou moelleux avec un Sauvignon très mûr. Un véritable petit laboratoire d’expérimentations que ces terroirs de Vire-sur-Lot sur lesquels les deux vignerons viennent tout juste de récolter les premiers grains dorés offerts par des plants de Petit Manseng… un liquoreux serait-il en vue ?
Voilà donc la recette qui explique comment ce domaine discret écoule tranquillement les 55 hectares de sa production en vente directe et dans le réseau traditionnel (caviste, restaurants) avec depuis quelques années, de nouveaux débouchés à l’export.
Renseignements : Château Nozières à Vire sur Lot – T. 05 65 36 52 73
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