En Quercy, deux cours d’eau majeurs : Lot, graphie fautive d’Olt, comme en attestent archives et toponymie, est la première rivière à avoir été aménagée pour la navigation. Nommons Merveille, la native d’Aubrac et plus au Nord Espérance, Dordogne née au pied du Sancy qui se hâte en Quercy pour se complaire en Périgord et rejoindre Garonne au Bec d’Ambès, porte de l’estuaire Gironde. De longueur quasi identique, 480 kilomètres, les rivales nourrissent l’histoire de la batellerie fluviale, florissante jusqu’à l’aube du XXème siècle où route et voie ferrée précipiteront à l ‘inéluctable chute de l’obsolète chaland.
Deuxième partie de l’article
…La veille, une messe est dite au pied de la croix des gabariers, à même le port. Le curé bénit les valeureux équipages qui ont attendu la crue qui les « portera » jusqu’à Bordeaux. Les églises en surplomb des rivières jalonnent ce chemin de croix. Aubin sur Espérance, Mathias sur Olt des Merveilles en sont aux ultimes préparatifs.
L’église Saint-Pierre de Carennac, belle romane du XIème, augmentée au XIIème d’un porche orné d’un superbe tympan sculpté, offre aux regards une vision symbolique de la fin des temps. Aubin se souvient : Au sortir de la messe dominicale il donne la main à sa mère Justine. On traverse le cloître. Courte halte devant « La mise au Tombeau ».
Fasciné par la douloureuse expression des personnages de grandeur naturelle, il frôle de l’index le linceul de pierre du gisant au lieu de faire le signe de la croix. La croix, il l’a désormais sur la poitrine, coulissant à un lacet de cuir. Veste bleue, culotte de toile et chapeau de cuir bouilli, il dirige la manœuvre. On s’affaire autour de « Victoire » lestée jusqu’à la gueule. La belle aventurière fait vivre mariniers, cordiers, scieurs de long, calfats ou forgerons. Respect.
Au port de Souillac, Emeline sera là pour l’embrasser. Elle a fait, à l’aube, le voyage depuis Martel, pas si loin. Elle habite chez sa mère, rue Droite qui dévale jusqu’au porche ajouré de l’Eglise Saint-Maur place de la Rode. C’est là qu’elle veut épouser Aubin qui préférerait la grandiose Abbatiale de Souillac . Après le temps risqué des gabares, elle se verrait bien « petite main » chez Pouzols, le tailleur. Mathias serait boulanger. Dans la nef, à genoux sur les immenses dalles de pierre ocre patinée, elle espère poigne calleuse mais tendre sur son épaule, puis autour de la taille pour le baiser si fort d’avant …. le largage des amarres et … l’angoisse…
Capdenac puis Saint-Cirq Lapopie, après formation du convoi à Larnagol jusqu’à Vers et Notre Dame de Velles puis Cahors et Castelfranc.
Mathias surveille l’équilibrage de la charge, charbon du Bassin Minier au centre, à la proue les merrains, à l’abri en poupe, les volumineux ballots de laine de mouton des Causses du Lot ou du Larzac, des briques et des denrées périssables, avant les bouteilles de Côt à Castelfranc ou Albas.
Menuisier de formation par tradition familiale. La scie lui a pris les dernières phalanges de l’index et du majeur. Gabarier par défaut, solitaire et bourru. Beau gars à la force peu commune qui attribue à son handicap sa maladresse avec les filles. Il aime en secret Marie Catherine qui va épouser Julien.
Le dimanche, au lieu de courir les bals, il grimpe pour tromper l’ennui, tout au haut de la falaise et casse la croûte à la fontaine des Anglais. L’espoir habite les cœurs légers. Le convoi sans encombres a en vue la sentinelle massive de Saint-Cirq que surmonte un clocher trapu.
Une pensée pour Aubin son cousin valeureux mais si jeune, si impétueux, si pressé de gagner des sous pour sa promise. Comme d’habitude, ils se retrouveront sur les Docks, délestés de leur fret, ils trinqueront bruyamment « Chez Solange » évitant de se battre ….Cette fois-ci, ils ne répondront pas aux provocations de collègues éméchés !
Enfin Notre Dame de Velles ! « Stella velarum spes nostra salue ». Le tympan du portail sculpté parle d’espérance et de voiles, celles peut-être du moulin-flottant. Pour le mettre en mouvement on a endigué le Lot avec d’énormes pièces de bois et formé un courant au milieu de la rivière. Il est rivé au rocher par une énorme chaîne et monté sur deux barques gréées chacune d’une fantomatique voile, d’où le nom de l’église, devenue lieu de pèlerinage le 15 août encore aujourd’hui. On y vénère une Vierge mère d’une grande beauté. L’origine de la statue serait miraculeuse. Trouvée dans la cavité d’un rocher non loin de Vers, des fidèles l’auraient portée dans l’église et à deux reprises elle serait retournée dans sa cache initiale. Les miracles engendrent d’inexplicables vénérations. Mathias et son équipage récitent « un Av » à hauteur du cimetière, ils s’en remettent à la protection de Notre Dame de Velles pour le reste du périple.
D’abord Cahors, sa Barbacane, sa Tour des Pendus, Saint Barthélémy, Saint-Etienne et Saint-Urcisse qui recèle encore des trésors cachés, puis Castelfranc, riche bastide : son église à l’architecture unique avec son clocher-mur fortifié.
La gabare y fera le plein de barriques et bouteilles en partance pour Londres ou Saint Pétersbourg, à la table des Princes…
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Texte A. Idez – DireLOT mag – Photos Laurent Delfraissy