Texte Alain Idez – Photos Laurent Delfraissy
Tout se soumet, rien ne se refuse. Grillé, désolé comme chaume, le Causse, figé dans le mutisme n’oppose à la fournaise que la dignité résistante de ses collines de chênes rabougris au vert pâlissant. Ailleurs c ‘est la fête. Foule d’inconnus bariolée. Ruelles et pavés vibrant de tonitruante activité. Partout sur les trottoirs on mange, on boit, on parle haut, on rit aussi. Fort. Les tournesols perdent la tête pour trois pétales de coquelicot. Les gosses ont les pieds dans l’eau, mamie enfourne la tarte aux gariguettes. Le soleil joue de l’orgue dans le blé qu’on moissonne. Tout embaume et tout resplendit. Beau.
Lentement la brosse démêle, aère la soyeuse crinière de la baigneuse de Saint Cirq-plage, tandis qu’à l’ombre noire de l’abrupte falaise la barque déchire avec précaution le reflet tremblant de désir du plus beau village de France en aplomb. On fouette sec. Ploc!Ploc! Puis on mouline sans hâte, le leurre longe l’antre du monstre. Patience répond à méfiance…Et brusquement se tord la canne…Combat. Il connaît bien le scénario tel le vieil homme d’Hemingway. Le brochet mue en espadon, le poisson de sa vie…Le savoir-faire l’emporte sur l’aveugle désespérance. Ultimes soubresauts dans le bateau. Fier.
Elle, ravie pour lui, fait tournoyer comme oriflamme triomphant son châle dans l’air transparent. Rouge. Sourires complices et poing levé…Mais le temps a vieilli…Sagement elle plie le plaid fleuri incrusté de fétus, trie les épars reliefs du déjeuner sur l’herbe à l’ombre chaste du noyer. Ils s’aiment aussi fort que Lot, Dordogne et Célé jalousent ces trous à carnassiers dans leur écrin de tendresse. Verte.
Plus avant, à jour déclinant, la terrasse de bourdonnante glycine au parfum bleu délavé promet aux gourmets la désinvolte ivresse des soirs sans fin qui se répètent. Suave, la chair du melon de Castelnau. Orange. Elle craque d’abord pour fondre en bouche dans des chuintements de plaisir juteux mal contenus, douceur mêlée à quelques bienvenus copeaux de jambon sec. Chacun savoure, paupières closes. On joue à oublier l’autre qui lève son verre de Malbec. Noir. On trinque à …on ne sait plus…Qu’importe!
Tardive, la langoureuse amante de l’astre au repos, s’avance confuse, zébrée de paresseux éclairs de chaleur. Pour eux seuls. Arrogance insensée de qui croit maîtriser le Temps! Pourquoi étirer sa somnolence sous le ballet muet des chauves-souris, dans les senteurs mentholées de fraîche fenaison et les cri cri stridents des grillons amoureux quand les mains se frôlent, les pensées se touchent et qu’appelle la couche? L’épaule cuivrée espère l’étole. Frileuse. On s’aime l’Eté en Quercy.
Poèmes :
Vacances
Sur le Causse désert brûlé par le soleil
Le progrès et le Temps dorment d’un lourd sommeil
Mais voici deux enfants deux bambins de la ville
Deux êtres de pitié malingres et fragiles
Ils sortent du ghetto de quelque grand ensemble
D’un de ces nids douillets où le béton ressemble
Comme deux gouttes de ciel gris à la tristesse
Papa Maman de vrais arbres de vraies fleurs
Un lapin dans la vigne t’as vu comme il a peur
Un chien dans les bleuets dis comme il est mignon
C’est la première fois que j’entends le grillon.
Alain Idez – 1968
Le marché de Cahors
Le marché de Cahors,
Aux pieds de la Cathédrale
Comme au moyen-âge
Comme sous Henri IV
Comme sous le pape Jean…
Dans ce mouvement de couleurs
Dans cette rumeur
De Samedi
Je cherche du regard
Cette fleur vagabonde
Qui apparaît, disparaît
Entre les têtes, les étals,
Les toiles colorées qui claquent,
Les fleuristes, les buissons rocheux d’huîtres,
Les montagnes de fruits et de légumes.
Dans cette rumeur
C’est le chant de la terre, du soleil,
De la joie qui s’élève.
Dans ce mouvement de couleurs
Je cherche du regard
Cette fleur vagabonde
Et mes vers s’habillent
De l’or des vieilles pierres.
Peuples gorgés, peuples repus,
Ne pouvez-vous allonger
Votre nappe chargée de victuailles
Vers ces horizons brûlés
Vers ces multitudes affamées?
Auteur : Marcel Louis Legrand
Extrait du livre « Les amoureux de Cahors » – 1974
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