Mais dans le Lot, ce sont plutôt des villes neuves seigneuriales et des bastides ecclésiastiques dont on retrouve les traces. En effet, face à ces fondations royales qui sont autant de pions au service du pouvoir français, des seigneurs implantent eux aussi des villes neuves sur leurs terres, afin d’affirmer leur influence et de fixer une population sur leur territoire, tandis qu’abbayes et monastères, gourmands en main d’œuvre, voient dans la création de bastides le moyen d’attirer des travailleurs. Outre Bretenoux fondée par Guérin de Castelnau, Rudelle est créée à l’initiative de Roland de Cardaillac, seigneur de Lacapelle-Marival, à l’emplacement d’un gué sur la route reliant Figeac à Rocamadour, Castelfranc est fondée au 13e siècle par les évêques de Cahors, pour assurer le contrôle de la basse vallée du Lot à mi-chemin entre Luzech et Puy-l’Evêque, et Beauregard est une ville neuve greffée à un prieuré, fruit d’un accord entre l’abbaye de Marcilhac et le roi de France, comme la bastide de Tauriac (Puybrun) fondée par l’abbaye de Dalon dans le cadre d’un paréage avec Philippe III conclu en 1279.
Le paréage est souvent l’acte de fondation d’une bastide. Il s’agit d’un contrat entre un propriétaire foncier et un pouvoir féodal, qu’ils soient laïques ou religieux. L’un apporte les terres, l’autre son investissement ou sa protection. Puybrun en donne l’exemple-type : l’abbaye de Dalon, qui possédait déjà un prieuré et une grange monastique sur sa paroisse de Tauriac, s’allie avec le roi pour s’assurer une importante protection, à proximité des vicomtes de Turenne et des seigneurs de Castelnau-Bretenoux (qui, bien sûr, s’opposèrent à la fondation de Tauriac vue en concurrente). Le roi de France partageait ainsi pour moitié avec l’abbé de Dalon la perception des redevances annuelles, des droits banaux, tels ceux des fours à pain, et le droit de justice.
Le paréage délimite aussi le territoire dans lequel s’implante la ville, organise son habitat et encadre les conditions de vie de ses habitants. Il traduit la vocation très pragmatique des bastides, implantées en principe sur un terroir existant, qu’elles entendent fructifier, et au passage de flux commerciaux dont elles veulent profiter. Puybrun fut fondée sur de riches terres agricoles au bord de la Dordogne, Rudelle s’est sciemment implantée sur une voie de communication très fréquentée… Les habitants, qu’ils soient déjà établis sur le territoire ou venus d’ailleurs, sont « invités » à apporter leur force de travail volontaire en échange d’un lot à bâtir, d’un jardin, de terres… Ainsi, à Rudelle, « tous les hommes qui voudront bâtir auront la faculté de prendre un ayral qui ne soit pas pris, de quatre cannes de large et de sept cannes de long, ainsi qu’ailleurs un jardin qui ait une cartelade de terre, mesure de Figeac ».
Dans la charte de coutumes, le document officiel que chaque ville neuve reçoit de son seigneur et qui définit les règles de vie, on précise la gouvernance de la cité (représentée par des consuls, contrôlés par un sénéchal ou un baile garants du pouvoir seigneurial), mais aussi le fonctionnement économique : le règlement de ventes privilégiant les productions locales à Rudelle (un protectionnisme courant dans les bastides), les jours de marché, de foires d’hiver et d’été à Puybrun, ainsi que des exemptions de péage pour faciliter la mobilité…
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Texte et photos DIRELOT / CPelaprat