Tous les Samedis du mois, DIRELOT vous invite à la découverte de la bouriane…
Ces quatre localités, à plus d’un titre, méritent une citation parmi les quelques villages cuivrés de la Bouriane sud : Goujounac, prisme d’or 1994 pour la qualité de sa restauration ; Les Arques, pour l’association d’un site prieural à la force créatrice de l’art, dans la mémoire d’Ossip Zadkine notamment ; Lherm, pour avoir été marqué au fer de ses moulines sur la Masse ; Les Junies enfin, par la grâce d’un château, et les vestiges ocrés d’un couvent de moniales dominicaines. Voici un pays de sources et de ressources, de pierre et de rivière.
Goujounac, dans son costume de belles couleurs
Deux rues parallèles, de sages alignements de maisons, la longue silhouette de l’église Saint-Pierre-des-Liens, et une superbe palette de pierres colorées. C’est en guise d’accueil, la signature patrimoniale du lieu, lové dans une vallée fertile et au bénéfice d’une source. Un lointain domaine agricole (terminaison en ac), et une étymologie à consonance germanique (god gotzon) fait remonter Goujounac aux temps des grandes invasions.
En 1342, l’évêque de Cahors entend protéger cette communauté sans défense, administrée par quatre consuls : il fait creuser un fossé, ériger une palissade. Las, les affidés du seigneur Benoît de Jean, alliés des Anglais, s’installent en 1355, sans vergogne. La famille des de Jean, était comme on le verra, efficacement nuisible depuis son château des Junies… Le château-haut, au nord du village, dont il ne reste qu’une grosse tour tronquée, ne suffira pas non plus à dissuader les Huguenots de Geoffroy de Vivans. Le repaire en sera victime lui-même, ainsi que l’église Saint-Pierre-des-Liens.
Sanctuaire primitif d’un prieuré, cet édifice a abandonné son cimetière sous le tracé de la route de Villefranche-de-Périgord depuis 1820. L’église romane à abside semi-circulaire d’origine, a connu l’agrandissement de sa nef à l’ouest à l’issue de la guerre de Cent Ans, et des modifications consécutives aux conflits religieux (systèmes de défense). D’où ses dimensions atypiques, 32 mètres de long et seulement 8,5 mètres de large. Sa façade sur rue arbore sur un portail muré le tympan en remploi de sa première église, figurant le Christ entouré des symboles des Evangélistes, un ange, un lion, un aigle et un taureau (XIIIe siècle) ; on le dit inspiré du portail de Beaulieu. Sur le clocher-tour gothique, deux têtes sculptées soulignent l’ornement du larmier de l’oculus. Guyon de Maleville, proche voisin de Cazals comme on l’a vu, précise que saint Mathurin était vénéré au XVIIe siècle ; il se présente donc logiquement en statue dans l’église, en compagnie d’un retable XVIIIe.
Les Arques : un doyen procédurier, une fascinante église et l’imploration sacrale
patrimonial des Arques est aujourd’hui complété par la résidence d’artistes contemporains, dont les “installations” et les recherches créatives, poussent à la médiation avec les habitants du village, et à la sublimation de ce terroir bourian.
La première des impressions qui frappent le visiteur en arrivant aux Arques, est la sérénité des pierres mêlée à un sentiment d’apesanteur. Est-ce la restauration trop respectueuse du bâti vernaculaire, pour ne pas dire compassée ? Est-ce la solennité tutélaire de la “Tour du Doyen”, ancienne résidence prieurale où planent encore peut-être les humeurs de sa seigneurie querelleuse ? (elle sera mairie sous la Révolution, presbytère après 1818, aujourd’hui siège de la résidence d’artistes). Est-ce enfin et sûrement l’atmosphère vagabonde et créatrice que suscitent les résidents comme Zadkine en son temps ? Ceux qui travaillent sur l’instant ou qui y séjournèrent hier, avant-hier ou la saison passée ? Le village qu’on se rassure n’est pas hanté, mais il est habité pour ainsi dire autrement.
C’est une fondation de l’abbaye de Marcilhac, sur le Célé, qui vit le jour aux Arques et au XIIe siècle sous la règle de saint Benoît. Elle élèvera son sanctuaire immédiatement, l’église prieurale Saint-Laurent, ainsi que l’église paroissiale Saint-Martin à quelque distance au sud (elle a laissé des vestiges parmi les tombes du cimetière et ses cyprès). Le minerai de fer exploité très tôt et lucratif, reprit de l’importance après la guerre de Cent Ans, grâce à la venue de nouveaux “ferriers” du pays basque en 1450, et avec eux leurs forges “à la catalane”. Un essor donc, qui a laissé de côté les brouilles répétées entre le doyen et la seigneurie voisine de Lherm, les Saint-Gily, une petite prospérité qui autorisera aussi la plantation de vignes…
Consacrée à la toute fin du XIIe siècle, l’église Saint-Laurent n’a conservé de ses origines que le chœur. On construisit une nef nouvelle au XVe siècle dans les restes de la croisée du transept, que l’on agrandira vers l’avant au XIXe lors de l’abandon de l’église paroissiale (augmentation de la capacité d’accueil). Classé en 1902, le monument recevra d’autres aménagements, au niveau du clocher, des toitures ; la crypte de l’édifice sera dégagée. L’ensemble dénote au niveau des voûtements une inspiration orientalisante par le jeu des arcs outrepassés, associé au doublement de certains chapiteaux ou des remplois. Sculpté dans un ormeau du village, le Christ en croix de Zadkine, de même que sa Pietà poignante dans la crypte, délivrent leur message tourmenté.
Le village de l’artiste, un musée trentenaire
C’est un village assoupi qu’Ossep Zadkine découvre en 1934 et où il décide de s’installer. Les révoltes des Tard-Avisés à l’aube de XVIIIe siècle sont oubliées depuis longtemps, la vallée de la Masse est assainie, les mines sont fermées et les vignes arrachées. L’artiste y vivra jusqu’à sa mort en 1967, six mois par an et en partage avec Paris, où il résidait déjà depuis 1909. Son illustration des mythes grecs, Orphée, Diane ou Daphné, est présente dans le musée qui lui est consacré ici depuis plus de trente ans, de même que ses dessins et lithographies. De retour en 1945 des Etats-Unis, où il avait fuit devant la menace nazie, il exprime son traumatisme et son impuissance dans ses sculptures de l’Arlequin hurlant (sur le parvis de l’église), ou son monument pour la ville détruite de Rotterdam. A Saint-Laurent comme dans l’église Saint-Jean-Baptiste de Caylus (Tarn-et-Garonne), ses Christ à la beauté hiératique lui sont comme une imploration !
Lherm, “fer” de lance des moulins sur la Masse
Un cortège d’artisans forgerons, serruriers, chaudronniers et armuriers, a fait la vie de Lherm, terre isolée de ce bout de causse bourian en bordure de la Masse, et dont l’étymologie est voisine d’ermite. C’est au talent des ferriers des piémonts pyrénéens, sollicités après la saignée des guerres franco-anglaises, et à leur technique de forge catalane, que le village doit son renom dans l’exploitation du fer. La richesse locale de ce minerai, extrait puis exploité par la force hydraulique des moulins à martinets de la Masse – on en comptait neuf à la fin du XVe siècle entre Cazals et le confluent du Vert -, a marqué l’histoire du village, jusqu’à la dénomination de la place du Carralier, que l’on traduit par mâchefer (de carral en occitan), de ce matériau que l’on utilise en remblai. Toutefois, avec l’essor industriel, les grandes minoteries et les usines métallurgiques de la vallée du Lot, mettront un terme à cette activité, ici encore relativement artisanale. La dernière “usine à fer” en action sous l’Empire, sera réduite au silence passée la Grande Guerre.
Reconnaissable entre toutes, la curieuse tourelle-escalier à épi de faîtage de la maison de l’Evêque (XVe), sur la place du village, est comme la signature de Lherm. Elle abritait deux marchands, dont l’un originaire de Figeac, qui se partageaient étages et boutiques. En face, une noble demeure sur porche et pigeonnier-tour, est également ornée d’épis. C’est depuis son château éloigné sur la rive droite de la Masse, Péchaurié, que la seigneurie du lieu, la famille Saint-Gily, régnait sur ce petit territoire, et entretenait des rapports très tendus avec le doyen des Arques. Raymond de Saint-Gily, y fit ériger l’église, selon une nef voûtée en berceau, greffée sur une abside romane (même dispositif qu’aux Arques), et que les frères Tournié beaucoup plus tard, ont doté de l’un de leurs monumentaux retables baroques, en bois peint et doré comme il se doit. L’Assomption de la Vierge, saint Ferréol et saint Aignan y figurent entre les sentinelles de colonnes torses.
Les Junies, entre gens de guerre et dames du couvent
Paisiblement lové dans sa vallée fraîche tapissée de prairies et ourlée de frondaisons, le petit repli des Junies orchestre plaisamment la succession de son bourg, de son château, et d’un lointain prieuré accosté de l’église, Saint-Pierre-ès-Liens. La Masse y poursuit son cours sinueux jusqu’à la confluence du Vert, et bientôt du Lot au détour de la bastide de Castelfranc.
Les seigneurs du lieu, issus d’une riche famille de banquiers caorsins, les Jean, ont laissé leur nom au village par déformation de la maison de Joanis, des Joan, et donc les Junies. C’est l’évêque de Cahors Géraud de Cardaillac, qui cède en 1214 cette terre de Canourgues à cette parentèle, sans doute en réparation de dettes contractées lors de la croisade albigeoise (voir article du Pays de Cahors). Anoblis à la fin du XIIIe siècle, fidèles au royaume de France tout d’abord sous Philippe VI – ils recevront en récompense de leurs services et de leur loyauté le domaine royal de Cazals -, les de Jean prendront bientôt le parti des Anglais à la suite d’un mariage. Et c’est Benoît, a contrario de son père Philippe, qui se mettra au service du Léopard, par son union avec une demoiselle de Pestilhac, d’une famille notoirement turbulente. En 1355, en compagnie de son beau-frère Guillaume de Pestilhac, Benoît de Jean recevra en effet le prince de Galles à Bordeaux…
Ces deux seigneurs, à la tête de leurs troupes, rançonneront et pilleront à leur aise, et sèmeront la terreur dans toute la contrée, suivis par leurs descendants dont Philippe II de Jean, associé au sanglant capitaine de compagnie anglaise Aymar d’Ussel. C’est là toute l’histoire médiévale du château trapu des Junies, cantonné de tours rondes écrêtées, ceint d’une belle série de consoles de mâchicoulis, et qui montre sur sa façade nord deux élégantes fenêtres à meneaux. Elles sont richement décorées de bâtons écotés et de roses épanouies, motifs d’ornementation typiquement cadurciens.
Autre membre de la famille, Gaucelin de Jean, évêque d’Albe puis cardinal, fut à l’origine en 1343 de la création d’un couvent de religieuses de l’ordre de saint Dominique. A la Révolution, cet établissement comptait encore huit pensionnaires, avant l’abandon et la ruine partielle des bâtiments. Ses propriétaires actuels, mettent un soin particulier à en relever les vestiges, d’où ont émergé la sobre et poignante salle capitulaire à voûtes et croisées d’ogives à parements ocrés, ainsi que les appartements de l’abbesse. Par delà l’emplacement du cloître disparu, des bâtiments annexes montrent encore leurs hauts murs et les arrachements d’amorce des voûtements. Au nord, la nef de l’église Saint-Pierre-ès-Liens vient refermer l’espace de cet ancien cloître, auquel elle est reliée par une porte, permettant l’accès des participants lors de concerts organisés dans l’abbaye. L’église, de style gothique et à chevet plat, réalise un ensemble remarquable de vitraux historiés du XIVe siècle, et comporte un retable du XVIIe de l’atelier des Tournié. Enfin, sur les hauteurs des contreforts occidentaux de la vallée, sur la colline de Roquebert, se développe une belle série de mégalithes sur une distance de 800 mètres, constituée de quatre groupes principaux de blocs de grès. En ce pays de Canourgues – et des Cadourques -, ils témoignent qu’en cette reculée de la Masse, à peine à l’écart de la vallée du Lot, des premiers peuplements s’étaient déjà fixés.
A suivre…
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Texte Ph.Pierre – DireLOT