On raconte que dans les collines du Haut Quercy, là où les forêts denses et les vallons sombres s’étendent entre Sousceyrac et Labastide-du-Haut-Mont, rôde une créature que personne n’a jamais vraiment vue, mais que tout le monde craint. Les anciens l’appellent simplement “la Bête”. Certains disent qu’elle est là depuis des siècles, un vestige d’un temps oublié, tapi dans les ombres de ces terres sauvages.
Les récits varient, mais une constante demeure : la Bête ne se montre que les nuits les plus froides, lorsque la brume s’étire sur les champs gelés et que le vent glacial fait craquer les volets mal ajustés. C’est dans ce silence pesant, seulement brisé par le cri d’un hibou ou le gémissement du vent, que la peur s’insinue.
Les premiers signes
Tout commence souvent de la même manière. Des hurlements résonnent dans la nuit, entrecoupés de grognements gutturaux. Certains disent que ce sont les cris de bêtes traquées par quelque chose de plus terrible encore, d’autres jurent entendre un rire, bas et caverneux. Au matin, les traces de griffes sur le sol gelé ou des empreintes trop grandes pour appartenir à un loup attisent la peur des villageois.
Un berger du côté de Sousceyrac affirme avoir vu une silhouette massive près de son enclos. “Elle n’était pas comme un animal,” disait-il, les mains tremblantes en évoquant la scène. “Elle marchait… presque comme un homme, mais avec des mouvements cassés, comme si ses membres ne savaient pas quelle forme adopter.”
La nuit fatidique
Parmi les récits les plus effrayants, celui de Jeanne, une habitante de Labastide-du-Haut-Mont, reste gravé dans les mémoires. Par une nuit glaciale, elle s’était aventurée hors de chez elle pour récupérer son linge resté sur le fil. C’est alors qu’elle a senti une présence. “Ce n’était pas le froid qui me glaçait le sang, mais cette chose, tapie dans l’ombre,” murmure-t-elle à qui veut l’entendre.
Elle prétend avoir vu deux yeux brillants dans la nuit, d’un jaune malsain, presque phosphorescent, la fixant avec une intensité inhumaine. Paralysée, elle n’a pu bouger que lorsque la chose a poussé un hurlement déchirant avant de disparaître dans la forêt. Ce hurlement, disait-elle, ne ressemblait ni à celui d’un loup, ni à celui d’une bête sauvage. “C’était comme un cri d’âme perdue, un mélange de colère et de désespoir.”
Un passé trouble
Certains anciens du Haut Quercy murmurent qu’il pourrait s’agir de l’âme tourmentée d’un homme, maudit pour un crime oublié. Une légende locale parle d’un châtelain cruel du XVIe siècle qui aurait traqué et tué les habitants de ces terres pour un simple vol de bois. Lorsqu’il fut assassiné par les survivants, on dit qu’il mourut en promettant de revenir semer la terreur à jamais. D’autres croient qu’il s’agit d’une créature oubliée, une bête mi-homme, mi-animal, que les druides auraient jadis invoquée pour protéger ces forêts des envahisseurs.
L’angoisse perdure
Ce qui est certain, c’est que personne ne s’aventure seul dans les bois après la tombée de la nuit. Les portes sont barricadées, les cheminées allumées jusqu’à l’aube, comme si la lumière pouvait tenir la Bête à distance. Mais pour combien de temps encore ?
Car la Bête ne s’arrête jamais. Les nuits froides reviennent toujours, et avec elles, les ombres mouvantes et les hurlements déchirants. Certains osent encore prétendre que ce ne sont que des légendes… mais qui, alors, explique ces traces étranges sur le sol ? Les troupeaux disparus ? Ou ce sentiment glaçant, celui d’être observé, chaque fois que le vent souffle dans les forêts du Ségala lotois ?
Peut-être qu’un jour, la Bête montrera enfin son véritable visage. Mais si cela arrive… personne ne veut être celui qui la verra en premier.